Si l’enfant est précieux, l’enfance l’est out autant. Toute société peut être déterminée par le sort qu’elle fait à ses enfants.
Pythagore écrivait « Un homme n’est jamais si grand que lorsqu’il est à genoux pour aider un enfant. »
Une petite enfance bien fragile
Au XVIIIè siècle, les conditions sanitaires de l’existence font porter un lourd tribu aux enfants notamment les plus jeunes. En France, entre 1740 et 1789, on considère que près d’un enfant sur deux n’atteint pas l’âge de cinq ans. A noter qu’un enfant sur trois, voire un enfant sur deux, ne survit pas au-delà de la première semaine. Cela permet donc de distinguer deux causes principales au décès des jeunes enfants. Les décès survenant la première semaine sont directement liés aux conditions sanitaires de l’accouchement et à l’état de santé de la mère, l’autre concerne les conditions de vie et les maladies infantiles qui sévissent à ces périodes.
Au cours du XVIIIè siècle, la mortalité chez les enfants est telle que le renouvellement de la population est à peine assuré. A peine plus d’un enfant sur deux parvient à l’âge adulte. Faire plus d’enfants n’est pourtant pas la solution pour assurer ce renouvellement. Les chiffres montrent que dans les familles nombreuses, la mortalité des enfants en bas-âge est très forte. Dans les milieux où l’on a choisi de limiter les naissances, la mortalité des enfants en a été diminuée. Si les conditions de vie sont importantes pour la survie de l’enfant. Les conditions de soin et d’allaitement sont la première cause de mortalité des nourrissons.
La bienveillance des femmes
Cela met en évidence un phénomène encore difficile à comprendre pour nos communautés humaines d’aujourd’hui, même si elle existe toujours. La prise en charge d’un nourrisson par sa mère ne va pas de soi. Dans les sociétés anciennes, ou modernes, avec une forte présence de femmes avec l’expérience de la maternité, la jeune mère et son enfant sont tour à tour pris en charge. Cela a pour effet de profiter de l’expérience des anciennes et permettre un repos nécessaire à la mère. Cet apprentissage de la maternité peut alors se faire sans pression excessive et sans négliger les soins dus au nourrisson.
Pour la période qui nous concerne, l’attachement au nourrisson est relatif. Avant le XIXè siècle, le terme bébé n’existe pas. On utilise enfant à la mamelle, poupard, enfant en bas âge… On considère l’attachement comme un sentiment dont il faut se garder tant que les plus grands risques de mortalités ne sont pas écartés. A partir de l’âge de deux ans, quand les dents sont sorties, on peut se laisser aller à une réelle affection pour son enfant. Depuis des siècles, tous et toutes ont pu faire l’expérience de la rapidité du passage sur terre. Venir au monde n’est pas du tout suffisant pour constituer une existence.
Les nourrices mercenaires
Dans les sociétés les plus aisées, mais tout autant chez les artisans, les commerçants et dans les familles employées dans l’industrie, dès leur naissance, les enfants sont confiés à des nourrices. On les appelle des nourrices mercenaires.
La jeune mère qui travaille plus de dix heures par jour, 6 jours par semaine et « tient son foyer » n’est pas vraiment en mesure d’allaiter son enfant. Elle n’est même pas en mesure de veiller sur lui. Ce n’est d’ailleurs pas une question d’époque.
La qualité de l’accueil varie en fonction du milieu social dont provient l’enfant. Dans les milieux bourgeois et nobles, la nourrice est choisie en fonction de critères très sélectifs qui vont jusqu’à la forme du sein de la nourrice. L’éloignement est le plus réduit possible. On s’assure que la femme qui va nourrir l’enfant est en réelle capacité physique et sociale à s’occuper du nourrisson. Les chiffres montrent une mortalité beaucoup plus réduite chez les enfants confiés par les familles les plus riches que par celles les plus pauvres.
Une enfance bien malheureuse
A cette époque, la nourrice à demeure n’est pas encore généralisée. Il s’agit surtout de femmes qui prennent les enfants à leur domicile. Dans les familles les moins aisées, la nourrice est parfois très éloignée du lieu de naissance. Les périls sont plus nombreux. Beaucoup d’enfants périssent pendant le voyage à la suite d’accidents notamment par l’administration d’alcool pour qu’il soit calme pendant le voyage. Une fois arrivé chez la nourrice, il se trouve souvent que la femme n’est pas ou plus en capacité de nourrir l’enfant au sein. Les nourrissons sont alors nourris avec un breuvage à base de lait de vache et de farine préparé dans un biberon. Cette alimentation parfaitement inadaptée donnée dans des conditions d’hygiène douteuse est souvent fatale à l’enfant. En milieu rural, l’accueil d’enfants en nourrice est une source de revenu non négligeable, surtout chez les veuves.
Parfois, mettre un enfant en nourrice est souvent un abandon pur et simple. La nourrice est payée un temps, souvent assez court, puis oubliée comme l’enfant. Les parents comptent sur l’attachement de la nourrice pour faire le reste. S’il est des esclaves que le monde rural et industriel a connus, il y a fort à parier qu’ils proviennent de ces enfants perdus.
Pour le nouveau-né de trop qui ne peut pas être mis en nourrice, l’abandon à l’hôpital où près d’un établissement religieux est la solution ultime. Ces enfants sont ensuite confiés à des nourrices mercenaires.
Le phénomène des femmes qui confient leur enfant à des nourrices ont un taux de fécondité plus élevés que celles qui nourrirent elles-mêmes leur enfant. Chez les plus pauvres, ce cercle vicieux expose doublement la femme par un nombre accrus de grossesses, d’accouchements, de fausses-couches et d’avortement qui sont à l’origine d’une grande mortalité. Cette fécondité accrue expose un plus grand nombre d’enfants à la misère sociale et à l’abandon.
Pédagogie
A l’heure où on réfléchit à la place de l’humain dans la société, l’enfant devient un sujet pour les Lumières du XVIIIè siècle. La question des enfants déposés en nourrice pour quelque raison que ce soit est posée à l’esprit des Lumières. A partir de 1760, l’abandon des nourrissons et la mortalité importante chez les enfants apparaissent comme un fléau inacceptable. Des solutions doivent être trouvées pour protéger l’enfance.
Mieux encore, la spécificité de l’enfance voit le jour comme discipline. Rousseau pense que l’amour maternel est la première des conditions à une bonne éducation.
Dans cette nouvelle prise de conscience qu’est l’enfance, on parle d’éducation bien sûr, mais aussi de pédagogie. Un peu comme si l’enseignement des choses de ce monde et l’art de les enseigner revêtent un caractère beaucoup plus noble. Elever son enfant n’est plus suffisant, il faut plus que la sécurité, le soin ou l’amour.
A la Renaissance, plusieurs auteurs ont écrit sur la manière d’enseigner. Rabelais était un fameux précurseur grâce à un point de vue laïque des choses. D’autant qu’il entrevoit l’enseignement dans le contexte où les gars et les filles reçoivent le même bagage.
L’éducation par les Lumières
Au Siècle des Lumières, l’éducation est réservée aux classes aisées et au genre masculin. L’éducation est aussi très importante si l’on considère que l’enfant qui atteint l’âge d’être éduqué est vu comme un chanceux. Il ne faut donc pas rater l’entreprise. Depuis la fin du XVIIè siècle, chaque paroisse doit avoir une petite école et l’obligation scolaire va jusqu’à 14 ans.
Dans ces milieux, à partir de l’âge de 10 ans, les enfants quittent le foyer, l’un pour le séminaire, l’autre pour le collège militaire, l’autre encore pour le collège chez les Jésuites qui en sont les principaux détenteurs. Les filles, quant à elles vont s’instruire au couvent (voir article des femmes aux études scientifiques).
Voltaire faisait une différence entre les classes sociales aptes à recevoir un enseignement. Selon lui, les filles sont éduquées principalement par des religieuses et les classes laborieuses n’ont pas la capacité intellectuelle suffisante pour l’alphabétisation.
Rousseau passe pour un grand pédagogue parce que l’enfance et l’éducation représentent une grande partie de son œuvre. Il considère que la pédagogie est un élément central des apprentissages et de leur contenu. Malheureusement, le vert est dans la pomme. La vision de Rousseau sur les devoirs, la position et les attentes que la société se fait d’un homme et celle qu’elle se fait de la femme vont tellement à l’encontre de la libération de l’un et de l’autre qu’il est impossible de trier le bon grain de l’ivraie. Pour en comprendre les contours, on peut citer un extrait de son plus célèbre ouvrage traitant de la pédagogie, Emile :
La femme est faite spécialement pour plaire à l’homme. Si l’homme doit lui plaire à son tour, c’est d’une nécessité moins directe, son mérite est dans la puissance, il plaît par cela seul qu’il est fort. […] La première et la plus importante qualité d’une femme est la douceur ; faite pour obéir à un être aussi imparfait que l’homme, souvent si plein de vices, et toujours si plein de défauts, elle doit apprendre de bonne heure à souffrir même l’injustice, et à supporter les torts d’un mari sans se plaindre […]
D’ailleurs Rousseau, lui-même, considérait que sa méthode rendait l’homme stupide. Voilà ce qu’il répond à Monsieur Hangardt qui suivit les préceptes de Rousseau à la lettre pour l’éducation de son fils :
[…] Celui-ci parla de son Émile avec un enthousiasme plein de feu, ajoutant qu’il élevait son fils suivant ses principes.
– Ma foi! tant pis pour vous, monsieur, répondit l’auteur, et plus tant pis encore pour votre fils.
L’enfance du petit prince
Le travail des grands penseurs de la pédagogie, de l’éducation et de l’enfance a fait son œuvre. Dans les classes supérieures du moins, la vie des enfants se serait grandement améliorée. La mode veut qu’à la cour ils soient choyés, complimentés, protégés et admirés. Nul doute qu’en ces lieux il s’agisse surtout d’une mode.
L’éducation des enfants est assimilée à la culture d’une plante dans une serre chauffée. Le soin apporté et l’engrais versé dans l’eau d’arrosage sont l’assurance que la pousse deviendra une magnifique plante. L’enfant doit acquérir des qualités morales, il doit être tranquille, honnête et conserver la douceur de l’âge tendre. La marquise de Lambert, salonnière, écrit « La vraye grandeur de l’homme est dans le cœur ». Il faut entendre que la bonté, l’attachement, l’amabilité, le respect sont des valeurs qui, placées au-dessus de la morale, donne à l’enfant de libérer tous les meilleurs potentiels et atteindre une valeur humaine complète et irréprochable.
Certaines familles aménagent le lieu de vie des petits « princes ». Les pièces de vie peuvent être revues pour se mettre à la taille des enfants, y compris les escaliers et les couloirs.
Les jeux éducatifs de l’enfance heureuse
Le monde des jeux éducatifs fait son entrée dans cet univers orienté sur l’épanouissement et les nourritures spirituelles. Des promenades spéciales sur des thèmes sont préparés à l’avance. Toute la vie et le monde de ces jeunes enfants sont organisés de telle sorte qu’ils ne peuvent y échapper. Le sentiment qui anime les personnes en charge de l’éducation est celui d’un potier en train de modeler sa terre. L’enfant est totalement malléable, prêt à tout entendre et tout croire. Il deviendra l’adulte que l’on aura prévu pour lui.
En tout cas, c’est qui est prévu. Car à l’âge de 16 ans, devenu un très jeune adulte, il est introduit dans les salons. C’est le moment d’apprendre l’interaction sociale. C’est aussi le moment où tous les principes enseignés peuvent prendre un certain biais voire être totalement anéantis. La confrontation des préceptes acquis dans l’enfance avec la réalité de la nature humaine peut avoir l’effet du rejet ou de l’adhésion, avec toutes les nuances possibles entre les deux.
Le siècle des Lumières a fait de l’éducation des enfants des classes aisées un enjeu sociétal jamais imaginé. La beauté de la société sera faite d’hommes et de femmes qui auront reçu la meilleure éducation possible pour porter le monde au plus haut sommet de la vertu et de la connaissance. Mais comme l’écrit Marcel Grandière, historien, en 1980 dans un article sur l’enfant au XVIIIè siècle :
Le milieu naturel souhaité pour les enfants n’est en fait qu’une atmosphère composée par les adultes pour les besoins de l’éducation. Il n’a pas libéré l’enfant et des contraintes des maîtres et de la rationalisation des méthodes éducatives.
Pour regarder plus loin
• Luisa Messina, L’éducation des enfants au XVIIIe siècle
• Emmanuel Le Roy Ladurie, L’allaitement mercenaire en France au XVIIIe siècle
•Aline Bitte, Les soins de la bouche chez l’enfant au XVIIIème siècle
• Jean-Claude Sangoï, La mortalité infantile en Europe occidentale au XVIIIè siècle