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L’histoire de la cheminée

Le feu de la cheminée, ce petit théâtre où les flammes gesticulent comme des acteurs affairés.

Jules Renard.

Nous retrouvons ici la suite de notre histoire du foyer

La cheminée à large ouverture

la cheminée grandeSouvent, l’architecture nobiliaire est source de modèle pour les architectures plus populaires. A partir du XVIIè siècle, la maison paysanne voit elle aussi ses élévations de façade prendre de la hauteur. La cheminée ne se situe que très exceptionnellement sur le mur gouttereau.

Dans la majorité des cas, la cheminée du XVIIè siècle de la maison paysanne et du petit manoir, suit un schéma assez constant : une ouverture assez grande en largeur et en hauteur et une hotte saillante. Le rayonnement du feu reste la question centrale car c’est un chauffage par radiation et non par convection. Il s’agit majoritairement d’une cheminée à faux-manteau, elle est adossée ou très peu incorporée dans le mur, les angles abattus en chanfrein.

Cheminée à faux-manteau

la cheminée à faux-manteauLa cheminée à faux-manteau avec la hotte en saillie est un modèle extrêmement courant de l’architecture rurale en pays gallo. Certaines cheminées ont été détruites à la suite de la désaffectation des logis pour éviter de payer l’impôt sur les ouvertures. Les empreintes laissées par ces cheminées donnent l’impression que l’âtre se trouvait dans la pièce. Et la forme de ces cheminées a une conséquence majeure. Car la hotte en saillie et le conduit qui le surplombent forment un levier très fort sur la maçonnerie du mur. Cette force doit être contrebalancée par une maçonnerie de mur pignon très épaisse qui appuie sur les corbelets. Qu’ils soient de pierre ou de bois, les corbelets portent à eux seuls la hotte et sont aussi de forte section. Il est courant de voir les queues de ces pierres ou de ces pièces de bois dépasser à l’extérieur de la maçonnerie. Ce volume en saillie à l’extérieur n’est pas là pour aider au contre-balancement. On y voit plutôt le signe de la notoriété de la maison : ici la cheminée est grande, belle et puissante, comme son maître.

La cheminée en pierre de schiste

La cheminée avec corbelets de schiste posé en délit
Corbelet de schiste monolithe posé en délit

La cheminée avec corbelets de schiste à ressauts
Corbelet de schiste à trois ressauts

Pour bien comprendre la fragilité et la complexité du faux-manteau, penchons-nous sur les cas où la pierre de construction est fragile, friable et délicate comme un mille feuilles. En pays de Redon où la pierre est surtout le schiste ardoisier, le maçon a choisi parfois de poser les corbelets en délit. Dans ce cas, il est toujours monolithe. Si la pierre est posée à plat dans le sens des feuilles de schiste, le corbelet est alors formé d’un encorbellement de plusieurs pierres de deux ou trois ressauts.

Ceinture et bretelles

linteau de schiste en délit
Linteau et corbelets de schiste posés en délit. Ici, les corbelets sont particulièrement travaillés pour donner une impression de noblesse au lieu.

Un linteau de schiste ardoisier posé dans le sens de la feuille finirait toujours par se rompre, c’est pourquoi il est toujours posé en délit. Malgré cette précaution, certains maçons ont utilisé le système de la clé de coffre. Il s’agit, à mi-hauteur du coffre, de poser des corbelets et un linteau complètement intégrés à la maçonnerie et reprenant à eux seuls les derniers mètres du conduit.

 

 

 

 

 

Clé de coffre de conduit de cheminée
Structure de maçonnerie utilisée comme une clé pour prévenir les ruptures de linteau en schiste

Les contraintes sur le linteau sont limitées car il ne soutient qu’une partie de la maçonnerie le surplombant. S’il vient à se briser, la partie haute du coffre et la souche restent en place, évitant le péril de la jonction maçonnerie-charpente. Le départ de la hotte peut alors être reconstruit.

La cheminée rentre dans le mur

Cheminée château de PauAu XVIIè siècle, les cheminées en pays gallo portent encore très largement les empreintes de l’époque médiévale. Formant un faux-manteau ou à piédroits, les éléments de la cheminée sont souvent d’aspect et de style gothiques. Les ressauts, les superpositions de corniches, les moulures rappellent les valeurs dont on a du mal à s’aliéner. Pendant le Grand Siècle, c’est toujours un élément d’ostentation tel que le rappelle Pierre Le Meut en 1623 :

[…] comme il a esté dit : et s’il est possible, il faut faire que la cheminée soit veuë de front par celuy qui entrera dans la salle.

Cet auteur nous révèle que la tendance de l’époque dans les logis de qualité est bien celle de l’intégration des conduits dans l’épaisseur des murs :

les cheminées des salles auront dans œuvre six à sept pieds entre les deux jambages ; et sera bon de prendre le tuyau d’icelles dans l’épaisseur du mur, s’il elle est tout vostre.

Il s’agit ici d’une construction de ville, on l’aura compris, mais le conduit peut enfin s’effacer pour laisser le décor être porté par les autres éléments de la cheminée.

Un style plus moderne

Cheminée Louis 13Le nouveau style arrivé avec Louis XIII marque une avancée dans la prise en charge des éléments structurels. La cheminée à faux-manteau est remplacée par une cheminée à piédroits. Visuellement la hotte commence à suivre les axes du mur porteur, les obliques sont abandonnées. Le style Louis XIV accentue la prise en charge de l’ouverture de la cheminée comme un élément unique, les piédroits et le linteau font corps dans une modénature traitée en continuité. La hotte est en complet retrait, c’est à présent un trumeau pouvant recevoir un décor.

Et la cheminée disparaît

Poêle à boisAux siècles suivants, le trumeau et l’âtre reculent ensemble et poursuivent cette intégration dans l’épaisseur du mur. Les dimensions du foyer se réduisent. La cheminée de style Empire a réussi à faire disparaître totalement le trumeau. Elle se réduit à l’ouverture de son foyer soulignée par un décor principalement porté par un devant de cheminée de marbre ou de bois.
Cette cheminée, à la structure totalement masquée, est typique de l’architecture urbaine où sa taille réduite au maximum permet d’apporter de la chaleur. Ce modèle va perdurer jusqu’à l’arrivée du chauffage central. En milieu rural, la cuisinière du XXè siècle installée dans l’ouverture de la grande cheminée ou le poêle placé en avant dans la pièce principale, fonctionne encore bien après-guerre. Mais là aussi, l’arrivée du chauffage central poussera la source de chaleur au dehors des pièces d’habitation. La chaudière va se trouver relayer à la place où se rassemblent les lots techniques, dans la chaufferie, le garage, le bas-côté, etc. Les pièces d’habitation servent enfin à vivre sans le danger d’un foyer au centre de l’espace, l’encombrement du poêle, la mauvaise chaleur de la cheminée.

Bien que changeante, l’évolution de la place du foyer se situe sur un graphique dont l’abscisse est la puissance du rayonnement et l’ordonnée, le moyen de rendre le moins visible possible le moyen de se chauffer, sorte de voie royale vers le confort moderne.

L’arrivée du poêle de masse et sa difficulté à se faire accepter est intéressante du point de vue du schéma décrit plus haut. Il est une continuité du poêle à bois combiné à une économie de combustible. Le pendant difficile à assumer est un bloc de un à deux mètres cubes occupant le centre de la pièce. Comme un retour aux origines, ce mode de chauffage reprend sa place au centre de la vie de la maison.

Cette place est difficile à reconquérir pour le poêle de masse dans le choix qu’il représente ; la famille devant céder une place dans cet espace dans lequel on a mis des millénaires à organiser son extériorisation.

Pour mieux regarder une cheminéecheminée

Glossaire

  • Mur gouttereau : mur se plaçant sous les gouttières ; il relie les murs pignon.

    vieux livres

  • Contre-cœur : mur de fond du foyer d’une cheminée où se place souvent une plaque de fonte
  • Piédroit : partie verticale supportant le linteau ou l’arc d’une ouverture pratiquée dans un mur (porte, baie, cheminée), appelé aussi jambage.
  • Manteau de cheminée : ensemble de construction formé par les piédroits, le linteau, ou l’arc, et la hotte de la cheminée.
  • Cheminée à faux-manteau : ensemble de construction de cheminée sans piédroit dont le linteau ou l’arc est porté par des corbelets.
  • Chanfrein : moulure plate obtenue par l’abattement de l’angle, synonyme de biseau.
  • Engagement : l’engagement de la cheminée est la partie du foyer prise dans la maçonnerie du mur de fond.
  • Mur de refend : mur de soutènement séparant deux espaces de construction. Ne pas confondre avec une cloison qui n’est pas un élément porteur.
  • Corbelet : petit corbeau, en saillie du mur pour soutenir une autre pièce.