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Le Siècle des confiseurs

confiserie chocolat
 
 

Au XVIIIè siècle, le sucre est une denrée exotique, précieuse et très chère. Elle provient essentiellement de la culture de la canne à sucre.

De la pharmacie à la confiserie, il n’y a pas qu’un pas

Dans la famille des métiers qui travaillent le sucre, nous allons préférer les confiseurs. A la période qui nous intéresse, le confiseur est la personne qui prépare également des confiseries en saumure. CertainsPastille pharmacie et confiserie

végétaux sont conservés dans le sel et le vinaigre, typiquement le cornichon. Et pourtant, le Siècle des Lumières est aussi le siècle des confiseurs, ceux qui travaillent le sucre, produisent les friandises, les bons, les sucreries, les confiseries, les douceurs, les gourmandises, les gâteries.

Mais revenons au rayon des sucreries. La présence du sucre tel que nous le connaissons ne s’est généralisée sur les tables qu’au XIXè siècle. Auparavant et depuis de nombreux siècles, l’usage du sucre et sa vente étaient l’affaire des apothicaires. Le sucre était une matière première principalement autorisée dans les préparations médicinales. Il existait, par exemple, beaucoup d’enrobages d’extraits de plantes réputés pour la gorge. La réglisse avait une place de choix dans la pharmacopée des mondes anciens, elle est connue pour traiter les problèmes cardio-vasculaires, elle augmente le tension artérielle, elle est aussi anti-inflammatoire. Ses propriétés sont si importantes que les bonbons à la réglisse doivent être consommés avec beaucoup de modération et de vigilance à partir d’un certain âge. La réglisse est arrivée dans la confiserie par le chemin des apothicaires. Les confiseries du Languedoc s’en ont fait une spécialité.

A l’époque moderne, le XVIIIè est véritablement le siècle des confiseurs. L’exploitation de la canne à sucre dans les territoires colonisés avait fait entrer massivement le sucre dans des préparations culinaires mais seulement pour les plus riches. Ce n’est qu’avec la culture de la betterave sucrière, au XIXè siècle, que le sucre s’est popularisé.

Le siècle des confiseurs à Paris

confiserie chocolatAu Siècle des Lumières, les préparations à base de sucre sont multiples et les boutiques de confiserie ont pignon sur rue depuis le siècle précédent. A cette époque, les préparations sucrées sont considérées comme un bien de luxe, au même titre que les bijoux, les métaux précieux ou les porcelaines.

L’attrait pour la confiserie tout au long du siècle des Lumières a été renforcé par la mise en place d’une stratégie marketing assez moderne. Cette stratégie détermine que l’emplacement géographique idéal pour une confiserie se situe précisément là où vit le cœur de la cible, c’est-à-dire là où vivent les plus fortunés.Le siècl des confiseurs est surtout situé dans la très ancienne rue des Lombardss. Au XVIIIè siècle, il s’y côtoie tous les commerces de luxe dont le quart des confiseurs parisiens.

Un renouvellement des « collections » entraine des annonces publicitaires, des boutiques particulièrement décorées et des enseignes qui débordent largement. Toute visibilité contribue à la démarche mercantile de ce commerce de luxe. La vitrine accueille des ustensiles de fabrication pour démontrer la qualité du savoir-faire de l’artisan. Le confiseur ne vend pas des confiseries… il vend un savoir-faire et surtout il vend l’univers des gens de qualité qui consomment des confiseries.
Le confiseur tient un commerce de bouche particulier qui utilise les codes, non pas des commerces de nourriture, mais ceux des denrées non essentiels et des produits de luxe à un haut niveau mercatique. Dans Le provincial, un périodique vendu à Paris, imprimé en 1787, le « touriste » est invité à visiter la rue des Lombards, Toutes les boutiques, à l’envi l’une de l’autre, exposent en étalage pendant le premier janvier de l’an toutes sortes d’ouvrages en sucre d’un goût et d’une élégance exquise.

Artisans confiseurs ou plutôt artistes confiseurs ?

friandises pour le siècle des confiseriesLes productions et l’imagination des confiseurs atteignent un haut degré de maîtrise de la sculpture en sucre. En 1776, un écrivain culinaire, Menon, dans la préface de son ouvrage La science du maître d’hôtel confiseur, à l’usage des officiers , avec des observations sur la connaissance et les propriétés des fruits… suite du Maître d’hôtel cuisinier. Nouvelle édition, revue & corrigée, compare les ornements en sucre à la production des figurines de porcelaine produite en Saxe. Cette comparaison est particulièrement évocatrice de la considération et du respect dû au confiseur. En 1710, à Meissen, près de Dresde, sont lancées les premières productions de porcelaine en Europe. Cette porcelaine est très vite l’équivalence de la porcelaine de Chine. Les figurines de Saxe sont d’une extrême finesse et poussent loin le souci du détail. Cette porcelaine reproduit les thèmes très en vogue comme les chinoiseries. Dans cet ouvrage, Menon utilise à dessein la comparaison entre personnages façonnés en porcelaine et sculptures en sucre. Il s’adresse précisément à la clientèle dont il connaît la fascination pour la porcelaine de Saxe, parfois même une addiction.

Dans son ouvrage, Tablettes royales de renommée ou de correspondance et d’indication générales des principales fabriques, manufactures et maisons de commerce, d’épicerie-droguerie, vins, liqueurs, eaux-de-vie et comestibles de Paris et autres villes du royaume et des pays étrangers…, Mathurin Roze de Chantoiseau énumère des boutiques, au chapitre Epiciers – confiseurs, on lit qu’un Lenoir, rue des Lombards, est confiseur ordinaire du Roi, qu’un Debèze, rue Saint-Antoine, est Confiseur de Monsieur, un Duval, rue des Lombards, porte l’enseigne Au Grand Monarque, est Confiseur du Roi et des menus-plaisirs de Monsieur, tient un des plus fameux magasins, et des mieux assortis en tout genre. Cet article est avantageusement connu, par la prise de Grenade, le blocus de Gibraltar, par mer & par terre, le passage du Roi à Falaise, pour se rendre à Cherbourg, le scène du Maréchal des logis, l’entrée de l’Empereur de la Chine dans la ville de Pékin, & nombre d’autres sujets pour fêtes publiques, & particulières, qu’il exécute en sucre, & rend à jour nommé, de la manière la plus prompte & la plus satisfaisante ; il fait des envois en province & chez l’étranger.

Le siècle des confiseurs Au Grand Monarque

le siècle des confiseurs par d'AlembertA l’instar de notre fréquentation des  boulangeries pour acheter une viennoiserie, au XVIIIè siècle, on entre dans une confiserie pour une consommation immédiate, ou à court terme, de spécialités aux fruits confits ou d’inspiration exotiques. Mais le marché visé par le texte de la rubrique réservée à la confiserie de Monsieur Duval, Au Grand Monarque, rue des Lombard, est tout autre. Il semblerait même que le texte ait pu être fourni par l’artisan lui-même. L’énumération des compositions sont à la gloire du monarque de France. Cet artisan entend ici faire reposer le succès de ses affaires sur les succès politiques de l’homme à la tête de l’Etat par les grandes pièces prestigieuses que la clientèle saura reconnaitre rapidement. Le Grand Monarque sait répondre aux exigences les plus folles de la haute noblesse et des grands bourgeois de la place de Paris. Duval se différencie par le sens artistique qu’il donne à son métier et par son admiration réelle ou supposée des grands de ce monde. Sa façon d’utiliser le sucre s’appelle le pastillage. Il s’agit de travailler un mélange de sucre glace, de vinaigre, d’amidon et de gomme adragante produite à partir d’une vingtaine des plantes. Le mélange gélifié permet des sculptures fines et complexes, il a un pouvoir collant très fort, stable à la chaleur et à l’humidité. Et bien sûr, les sculptures et les décors réalisés en pastillage sont comestibles. La boutique, rue des Lombards, offre également un choix infini de bonbons pour la consommation immédiate.

Un produit de luxe

boutique de confiseursLes confiseurs sont référencés dans les guides touristiques et dans leurs annonces publicitaires, ils s’adressent clairement aux voyageurs, ils font mention de confiseries qui « se portent en voyages ». Les boutiques alimentaires des quartiers chics ne sont représentées que par les confiseries, les pâtisseries et les épiceries de renom. Dans ces quartiers, on voit apparaitre la pratique du grignotage au sortir de la boutique, expérience tout à fait nouvelle.

La confiserie est un commerce de luxe à la réputation européenne. A Paris, les dépenses allouées à la confiserie peuvent atteindre des dépenses somptuaires. La concurrence est très rude et au-delà de l’aménagement des boutiques qui représente un très grand investissement, le confiseur se démarque de la concurrence par la mise sur le marché constante de nouveautés. La clientèle aura une attirance à connaître les confiseries nouvellement arrivées sur le marché parisien. Cela donnera l’occasion à son acheteur d’en parler et de montrer à la hauteur des nouvelles valeurs, d’être à la pointe de la mode.

 

Tout connaître et tout savoir en premier, être à la source d’une nouvelle mode, c’est le summum de la reconnaissance au XVIIIè siècle. Il est curieux à ce stade de noter les analogies qui peuvent être faites entre le commerce de luxe du Siècle des Lumières à Paris et ce même commerce à notre époque dans les grandes capitales mondiales. Aujourd’hui les produits convoités sont surtout des objets inter-connectés. Au XVIIIè siècle, la confiserie était une de ces valeurs de reconnaissance universelle.

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