Les femmes sont traditionnellement très présentes dans les domaines de la botanique. Le lien entre la plante et ses vertus sont transmises de femme en femme, de mère en fille, de religieuse en religieuse. Elles ont observé et transcrit en note parfois, tout ce que la nature pouvait donner de sa bonté pour améliorer le sort de l’être humain dans la plus grande de ses fragilités, la maladie.
Le savoir ancestral des plantes
Les débuts de l’étude des plantes en Occident, pour lesquelles on ne parle pas encore de botanique, aux premiers moments sont inévitablement liés à la fonction utilitaire de la plante, que ce soit pour se nourrir ou pour se soigner. On peut imaginer que les vertus des plantes ont très vite revêtu un caractère précis. Déterminer le principe actif de la plante implique de connaitre dans quelle partie de la plante il se trouve, comment on l’en extrait et avec quel principe on l’administre, quelle en est la posologie. Certaines parties de plante sont très toxiques à faible dose alors que d’autres sont totalement sans effet. Quand à la notion de poison, elle s’inscrit dans celle du dosage, ce que nos ancêtres ont probablement repéré très vite.
L’ouvrage de botanique
L’ouvrage de botanique à visée médicinale qui a fait référence pendant 1500 ans est le Traité de matière médicale écrit par Dioscoride né au premier siècle après J.-C. Il recense, décrit et donne les vertus de 800 substances dont la majorité sont des pantes. Passionné de médecine, Dioscoride, présente dans son œuvre, le résultat d’une collecte de plusieurs décennies de voyage dans la partie orientale du bassin méditerranéen dont on peut penser que le collectage s’est fait auprès des femmes comme auprès des hommes.
Aux origines de la pharmacopée
Aux temps plus anciens, on pense que la cueillette, la préparation des plantes et l’administration du remède à des membres de la communauté étaient assurées en majorité par des femmes. Sans qu’il soit à ce jour possible de l’attester. Il s’agit d’une tradition orale transmise dans un champs vernaculaire par des personnes qui n’étaient pas lettrées. La piste de l’expression « remède de bonne femme » pourrait laisser à penser qu’elles étaient les gardiennent de ce temple. Pendant le Moyen-Âge, la chasse aux sorcières a souvent condamné des femmes sur la base de leur pouvoir de guérisseuse. On associait les décoctions et les infusions de plantes ou de racines à de la magie. Cette inquisition menée contre la femme et son pouvoir guérisseur vient également conforter le principe que les remèdes par les plantes sont traditionnellement détenus par les femmes. Dans les monastères, ces plantes se nomment des simples, c’est un jardin essentiel.
La naissance du naturalisme
Cependant, les premiers siècles du Moyen-Âge avaient perdu une grande partie de cette tradition. C’est au cours du Bas Moyen-Âge que certains tentent de refaire tout le chemin perdu. Hildegard von Bingen décrira et notera les vertus de plus de 300 plantes. La perte de la transmission de génération en génération et la chasse aux sorcières, éloignent les femmes de ce savoir-faire et de cette connaissance ancestrale. A partir de la Renaissance, la démarche de l’ouvrage consacré aux plantes s’inscrit dans un schéma beaucoup plus large qui est celui de la description de la nature. C’est la naissance du naturalisme. Cette discipline toute balbutiante n’a pas toujours la rigueur d’une encyclopédie mais la visée est clairement celle d’un manuel pour la transmission du savoir. On peut parler de début d’un cheminement scientifique même si la classification ne viendra que plus tard.
Le système linéen ne classe pas que les plantes
Désormais, la botanique est une affaire d’hommes tout en se séparant de son aspect purement médical. Tous les livres qui paraissent désormais sont écrits par des hommes dont l’un des plus célèbres est Carl von Linné. Son Systema Naturæ, dont la première édition paraît en 1735, est un ouvrage de classification et de description du monde animal, végétal et minéral.
Ce XVIIIè siècle, plein de promesses pour cette discipline, va sonner le glas de la l’implication des femmes dans le travail de constitution du savoir dans le naturalisme. En 1766, Philibert Commerson, naturaliste français, fait embarquer sa femme sur le bateau qui l’emmène pour une exploration autour du monde. Pendant deux années, elle parvient à se dissimuler sous les habits d’un homme, condition sinequanon pour embarquer. Son mari malade, Jeanne Barret effectue les collectes et le travail de classement des plantes. Plus de 5000 spécimens viendront ainsi enrichir les flores et les ouvrages de botanique. C’est donc de façon tout à fait masquée qu’elle parvient à effectuer ce travail. La « reconnaissance » toute relative viendra à son retour en Europe, veuve et remariée, Louis XVI lui accorde une rente pour la collaboration et l’aide apportée à son mari défunt dont l’histoire retiendra son nom et non celui de sa femme.
Femme ! Va plutôt sarcler tes rosiers
Ces siècles de modernité vont sans cesse jeter un discrédit sur les savoirs de la tradition orale en suivant deux chemins. L’un pour dire qu’un savoir détenu par la seule tradition orale, et qui n’est pas couché dans un livre, est par définition non savante. L’autre pour établir un lien entre l’incapacité cérébrale de la femme et son inaptitude pour ce domaine de connaissance.
La définition même des activités liées à la botanique renvoie à l’état de jardinier toute personne qui cultive une plante pour en connaître les remèdes. Tout guérisseur, dépositaire depuis des siècles de la pharmacopée traditionnelle, est renvoyé à sa houe et à son bâton à fouiller.
La botanique des dames
La femme est confortée dans ses talents de « jardinière » par une « botanique d’agrément ». Ainsi on valorise, pour les femmes, la culture des fleurs, des simples. On recherche, dans ces jardins, la variétés des collections, l’exotisme, la légèreté de s’y promener. Pour se faire, on publie des ouvrages de vulgarisation entièrement destinés aux « dames », un livre de « botanique pour les nuls » pour amuser les femmes à trouver le nom des fleurs qui composent leur jardin, déterminer leur sexe, retenir les nom des différentes parties de la plante. Des ouvrages dont la société masculine, Rousseau par exemple, pense que leurs femmes vont s’emparer pour s’amuser follement au jardin les beaux jours venus.
Et pour celles qui tentent une incursion dans le domaine savant, telle Jeanne Barret, elles n’ont pas le droit de siéger dans une Académie, et ne sont jamais prises très au sérieux.
C’est à force de patience et de persévérance que le retard sera de nouveau comblé tout au long du XXè siècle. C’est ainsi que les femmes auront de nouveau accès en pleine légitimité à une botanique savante et professionnalisante. L’accès aux études supérieures par le droit d’entrée dans les universités à la fin du XIXè siècle est déjà un bon début. Malgré tout, ce parcours de la reconnaissance sera semé d’embûches, tel que nous avons pu l’évoquer dans notre article sur l’accession des femmes aux études scientifiques. ( A lire ici)
Des femmes, des dates
- Clémence Lortet, chercheuse du XVIIIè siècle, formée au naturaliste scientifique sans pouvoir être publiée
- Agnes Arber : première femme botaniste élue membre de la Royal Society
- Jane Colden, au XVIIIè siècle, femme naturaliste à New -York, arrête cette activité sitôt mariée.
- Emilia Anikina, botaniste ukrainienne du XXè siècle, découvreuse de blés
- Marie-Anne Libert, botaniste belge du XIXè siècle, elle identifie le mildiou
- Marion Delf-Smith, Membre de la Linnean Society of London
Pour aller plus loin
- Réponses des femmes face à la construction du monopole masculin d’expertise sur le végétal au XVIIIe siècle : lire ici
- Les femmes dans la Botanique : Agnès Arber, une grande botaniste au début du 20e siècle : lire ici
- Les botaniques des dames, badinage précieux ou initiation scientifique ? lire ici
- Honneur aux femmes botanistes ! : lire ici