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L’eau depuis des siècles et des siècles

L'oiseau dans la fontaine

 

L’existence d’un point d’eau aménagé en puits ou en fontaine est le signe, parfois discret mais avéré, d’une activité humaine, pour qui l’eau est essentielle.

L’eau ! C’est la vie

L'eau entre mousse et caillouxParfois le point d’eau marque un simple lieu de ravitaillement ou un site attaché à des pratiques religieuses ou mystiques. Les cultes liés à la présence de l’eau puisent leurs origines dans les tréfonds des cultes païens.
Convaincus de n’avoir pas toujours de prise sur les épreuves de la vie, les femmes et les hommes ont voulu s’en remettre à l’au-delà pour infléchir les épreuves de la vie et prier les dieux d’un ancien monde, toucher l’eau pour toucher l’au-delà. Les éléments comme le feu et l’eau ont très souvent pris part à l’exercice des cultes en tout point du globe. Les Celtes étaient particulièrement attirés par les croyances rattachées à l’eau.
Les nymphes s’y baignent, les fées s’y mirent…

A la claire fontaine

L'oiseau dans l'eau de la fontaineIl existe un lien très fort entre l’eau et la féminité, la fécondité. Les fontaines, pense-t-on, guérissent et soulagent les peines du monde, la maladie, l’infertilité, la déveine, les aléas climatiques, l’infortune. L’eau adoucit la vie, comble les manques. Des guérisons et des prodiges, croit-on, surviennent par la consommation de l’eau, l’aspersion ou encore l’imprégnation d’un linge.
Les origines de l’eau bénite des chrétiens se confondent sous l’Antiquité avec les pratiques religieuses du bassin méditerranéen. L’Iliade et L’odyssée racontent les ablutions de Pénélope et Télémaque avant la dévotion à Pallas. Les prêtres de l’Egypte ancienne procédaient aussi à des ablutions plusieurs fois par jour et plusieurs fois par nuit. De manière générale, les cultes de toute période considèrent que l’eau est purificatrice.

L’eau, départ de la source

L'eau de sourceLa source, c’est le point de sortie de l’eau. C’est le point de contact naturel entre la nappe phréatique et l’air libre. On ne sait pourquoi elle sort là, ni d’où elle vient. Elle peut être très fraîche ou brulante. Ce qui la caractérise c’est qu’il s’agit d’une eau propre et potable dans la très grande majorité des cas. Les mystères surviennent quand l’eau apporte des bienfaits, quand elle guérit et apaise. Les minéraux sont la cause de ces guérisons mais nul ne le sait.
Car parfois, il est fait un lien entre un évènement et l’eau de la source. Dans la communauté, l’une a eu un enfant, l’autre a recouvré la vue, un autre encore a vu sa brebis reprendre vie. Ce qui rend la source « miraculeuse », ce ne sont pas les tentatives de guérisons, mais juste les « guérisons » et seulement les guérisons. Le taux de réussite peut être de un pour un million, cela rend quand même la source miraculeuse.
Si on fait des liens de causes à effet entre des phénomènes qui n’ont rien à voir entre eux et que l’on considère qu’une seule guérison rend une source miraculeuse, on comprend très vite que toutes les sources, ou presque, ont un pouvoir de guérison ou sont miraculeuses. Avant l’ère chrétienne, de nombreux cultes se sont ainsi répandus. Ce sont les cultes païens.

Fontaine à boire, fontaine à croire

L'eau de fontaine en sous-boisLa source n’est pas seulement le lieu simple et naturel où sourd l’eau, elle devient le lieu surnaturel à qui l’on doit une reconnaissance et un aménagement. C’est par cet aménagement que la source devient une fontaine. D’une part, le site est repérable, d’autre part son abord est aménagé pour éviter les boues, cela permet un accès et un puisage plus aisés.
Cependant, les cultes paganistes associés aux fontaines n’ont pas arrangé tout le monde. Dès le début de son histoire et pendant plusieurs siècles, l’Eglise chrétienne tente de faire cesser ces pratiques pour lesquelles on pouvait risquer l’excommunication.
Au cours du Xè siècle, voyant que les croyances populaires se perpétuaient sans discontinu, des évêques ont eu recours à la christianisation de ces lieux. C‘est pourquoi les fontaines se retrouvent souvent sous le vocable d’un saint ou de la Vierge.
Toutefois, la christianisation des fontaines et des sources n’a pas forcément fait disparaître les croyances anciennes. Notamment parce que l’aubaine de garder les malheurs à distance étaient trop forte. La dévotion à une source guérisseuse fait son chemin au gré des « guérisons » et les offrandes se poursuivent malgré tout. Les ex-voto chrétiens sont très certainement une autre récupération de la religion du Christ pour tenter le détournement de ce phénomène de l’oblation.
Evidemment, beaucoup de sources aménagées en fontaines sont aussi et avant tout le lieu du ravitaillement en eau. Il convient alors de voir le site comme point de départ d’une installation humaine devenant un hameau et un village.

Un puits vaut mieux que fontaine tu n’auras

L'eau au fond du puits maçonnéContrairement à la fontaine, le puits impose un travail de creusement jusqu’à la nappe phréatique afin de permettre son puisage. Les sources sont un produit de la nature, comme elles ne sont pas assez nombreuses, les femmes et les hommes ont découvert qu’en creusant la terre et la roche, on parvenait à trouver l’eau. L’eau potable indispensable à la survie d’une communauté.
Pour le creusement, la plupart du temps, la maçonnerie des parois internes survient une fois que le puits est totalement creusé. Dans nos campagnes et nos villages, le creusement d’un puits est un travail très technique qui requiert toujours l’intervention d’un spécialiste. Il faut éviter à tout prix l’éboulement car il met en péril le puisatier et le succès d’avoir un puits. Le puisatier peut avoir à son service des manœuvres avec lesquels il a l’habitude de travailler mais il peut aussi avoir recours à la population du hameau pour dégager les matériaux et ramener sur le chantier les pierres de maçonnerie.

Un beau puits de village

L'eau du puits du villageUn nombre considérable de formes de puits sont visibles partout. L’édification de la structure externe du puits suit les principes de l’architecture vernaculaire du territoire en question. Et de la même façon, le puits d’un village ou d’un hameau peut chercher à envoyer les signes caractéristiques de l’appartenance à sa société et à ses valeurs. C’est pour cette raison que certains puits possèdent une superstructure très développée avec des décors portés très impressionnants.
On est souvent frappé par le petit nombre de puits en regard des logis présents autour du point d’eau. L’usage de l’eau est principalement un usage alimentaire pour les humains et pour les animaux ainsi que l’arrosage du courtil. L’usage sanitaire est totalement à la marge. On considère moins le lavage des corps que celui du linge. Il existe plus de lavoirs et d’étuves que de baignoires. Autrement dit, on peut changer de chemise pour paraître propre sans avoir besoin de se laver la peau. A part les mains et quelque fois le visage, pourquoi le corps a-t-il besoin d’être lavé à l’eau alors qu’il est constamment protégé par les tissus du vêtement ? Chez les plus riches, on se rafraichit en changeant d’habits.

Se laver, quelle idée ?

L'eau de la fontaineL’eau comporte un paradoxe. D’une part elle a suscité, et suscite encore de nos jours, des croyances populaires qui la rattache à des miracles en rapport direct avec des soucis de santé, d’autre part, l’histoire de l’eau a connu des périodes où il est totalement déconseillé de l’utiliser pour se laver, se nettoyer, se baigner. Sa laver avec de l’eau, c’était courir le risque d’avoir la cataracte, le visage qui s’aplatît, des maux de dents, des introductions de miasmes via les pores de la peau, des corps lâches maladifs qui diminuent la vie, la mort des fœtus… Le XVIIè siècle a été particulièrement sévère avec les usages hygiéniques de l’eau. Martin Lister, médecin naturaliste anglais écrit lors d’un voyage à Paris en 1698, « Une bonne chemise de toile changée tous les jours vaut, à mon avis, le bain quotidien des Romains. »

L’eau des Lumières

L'eau des LumièresAu Siècle des Lumières, l’eau revêt un aspect plus rassurant. Paris voit s’édifier de nombreuses fontaines pour alimenter la capitale en eau potable mais leur nombre reste insuffisant. Des aménagements sont également construits pour puiser l’eau de la Seine. Le métier de porteur d’eau permet d’acheminer l’eau puisée jusqu’au lieu de son usage.
Il est évident que selon nos critères, les cours d’eau ne produisent pas une eau potable.
Au Siècle des Lumières, il en va autrement. Les eaux captées dans les nappes ne sont pas accessibles à tous. Dans les villes, on capte les cours d’eau. On pensait que l’eau courante était suffisamment brassée pour être propre à la consommation. Cela vaut surtout si on compare cette eau avec les eaux stagnantes qui ont très mauvaise réputation XVIIIè siècle. Ces lieux provoquent le rejet depuis très longtemps. Columelle, un agronome romain du Ier siècle décrit ces lieux dans un ouvrage sur l’agriculture :

L'eau stagnante des marais« Les marais développent pendant les chaleurs de l’été des vapeurs nuisibles, et engendrent des insectes armés d’aiguillons, et dont les essaims nombreux assaillent l’homme. Les marais fourmillent encore de serpents et d’autres reptiles qui, privés de l’humidité de l’hiver, sortent de cette fange, mise en fermentation par les ardeurs du soleil. Tout cela occasionne souvent des maladies dont les causes sont tellement cachées que les médecins eux-mêmes ne peuvent pas toujours les découvrir. Il règne, en outre, dans ces contrées une sorte de remugle et une humidité qui ronge les instruments de culture, pourrit les meubles, et gâte les fruits serrés dans les greniers aussi bien que ceux qui sont laissés à découvert ».

Cette mauvaise réputation des eaux stagnantes vaut donc à l’eau de rivière d’être très bonne.
Avant le XVIIIè siècle, Paris compte quelques fontaines en nombre vraiment très insuffisant. Paradoxalement, il n’y coule pas forcément une eau en provenance de la nappe. Pour plusieurs d’entre elles, il s’agit d’un réservoir en amont qui est alimenté par l’eau de la Seine. Au XIIIè siècle, on peut en compter trois, ce nombre monte à 16 au XVè siècle. Cependant le nombre d’habitants croit plus vite que le débit à disposition. Pour les Parisiens, l’eau est difficile d’accès, chère et donc précieuse.
Au XIX siècle, la captation des cours d’eau revêt un caractère sanitaire grâce aux travaux scientifiques qui ont mis en évidence que certaines eaux pouvaient être chargées en substances nuisibles pour la santé. On commence à faire une différence entre l’eau pour un usage alimentaire et les autres eaux. L’eau potable sera puisée en des lieux prévis ou la pollution est moindre. Des systèmes de filtres avec des pouzzolanes et des sables font leur apparition.

Eau et gaz à tous les étages

LL'eau courantee XX siècle a voulu tenir la promesse d’un accès à l’eau courante pour tous. On considère que c’est chose faite depuis les années 80. « Pour tous », il faut entendre presque tous. Dans nos vies, nous pouvons chacun être témoin de certaines habitations qui n’ont été raccordées que bien après les années 80. C’est d’autant plus vrai que dans certaines zones rurales de la France, l’approvisionnement en eau potable est assuré par la source et le réservoir de rétention d’eau qui ne sont pas toujours situés au-dessus de l’habitation.

Pour aller boire à la source

L'eau au robinetGustave Fulgence, « Fontaines de Paris », Confins [En ligne], 40 | 2019, mis en ligne le 17 mai 2019, consulté le 18 mars 2021
Les usages de l’eau au cours de l’histoire, par Lydie Devulder
Un article sur l’assèchement des marais, Les marais, espaces convoités, par Raphaël Morera
L’invention de l’eau moderne et ses imaginaires renouvelés, par George Vigarello