Illustration : lampe à poser Madame de Tencin, embauchoir et lacets en cordon d’alimentation. La chaussure est inspirante.
On a beau n’être pas envieux, on rage toujours quand les autres chaussent vos souliers et vous écrasent.
Emile Zola
La sandale de Catlow
Si l’on s’en tient aux découvertes des archéologues, la plus ancienne chaussure pourrait remonter au septième millénaire avant notre ère. Il s’agit de sandales trouvées sur le site de Catlow Cave dans l’Oregon.
Ces sandales sont faites de fibres végétales. Elles s’enroulent entre elles et forment des cordages, un peu comme les semelles d’espadrilles. Elles comportent un rabat pour protéger les orteils et une partie du dessus du pied. En Chine, des archéologues ont décelé des empreintes de pieds chaussés dans la grotte de Tianyuan. Leur datation est estimée à plus de 35 000 ans. La chaussure ne date pas donc d’aujourd’hui.
La chaussure d’Ötzi
Ötzi, un homme du Néolithique, a été retrouvé dans le massif d’Ötzal en Italie. Il portait des chaussures en cuir de cerf maintenues par des lacets en cuir de bœuf. A l’intérieur de l’unique chaussure qui lui restait aux pieds, Ötzi portait une sorte de chausson fait de liber de tilleul. Le liber est constitué des fibres présentes juste sous l’écorce de l’arbre. Ce sont des fibres très souples à l’épaisseur variable mises en œuvre après rouissage. Une couche de foin est ainsi maintenue entre la chaussure et le chausson.
Ces deux parties sont liées ensemble à une semelle de cuir d’ours. La fourrure se place du côté intérieur. Parcourir un massif de montagnes à la fin du Néolithique n’était visiblement pas une chose qui s’improvisait. Et surtout pas du côté des pieds. La chaussure qui lui restait au pied au moment de sa mort montre qu’il ne s’agit en rien d’un “bricolage”. Bien qu’empirique, la technicité de cette chaussure avait déjà due largement faire ses preuves.
Les pampooties
Au cours de la même période, en Arménie, on portait des chaussures élaborées selon la méthode la plus simple qui soit. Il s’agit d’un ovale tronqué autour duquel on aménage des trous pour passer un lacet. On place son pied sur cet ovale et on resserre le lacet qui enferme le pied dans une sorte de bourse de cuir.
Ce modèle se retrouve de façon assez commune partout en Europe et sur des périodes assez longues. Par exemple, les célèbres pampooties irlandaises sont fabriquées selon cette méthode. A l’origine, elles étaient fabriquées dans un cuir frais et non tanné. Leur évolution vers la modernité et la solidité ont abouti aux ghillies des danseurs de musique celtique.
La sandale antique
En Egypte, pendant l’Antiquité, si l’on porte des chaussures, ce sont presque toujours des sandales. Selon sa condition, elles sont faites de fibres végétales pour les prêtres ou en or pour accompagner Pharaon dans l’au-delà.
La statuaire grecque nous donne à comprendre que la sandale est la chaussure qui va bien avec un climat un peu chaud. Mais là aussi, il faut comprendre que la majorité de la population allait nu pied. Les sandales sont présentes en Grèce depuis plusieurs millénaires. Selon certains, le mot même, proviendrait du perse sandal. Comme souvent, la sandale la plus simple est faite en fibres végétales torsadées ou tressées.
La conquête par la sandale
Mais la sandales la plus élaborées s’appelle la cothurne. On peut parler de sandale car il s’agit d’une chaussure ouverte maintenue par des lacets. La différence tient dans sa forme. Il s’agit, en fait, d’une botte dont la partie arrière protège le mollet avec un élément fermé, la semelle est en bois. Les cothurnes sont les chaussures que portent les acteurs grecs lors des représentations de tragédies.
On retrouve les cothurnes à Rome et plus tard au Moyen- Âge.
On remarque qu’à cette période, une bonne paire de chaussures qui tient bien aux pieds doit comporter un entre-doigt.
A Rome, les soldats portent des chaussures appelées caligae. Il s’agit très exactement de ce qu’il reste d’un romain quand Obelix dégage un légionnaire. C’est une chaussure de cuir d’une seule pièce ajourée en lanières. On plante la semelle de nombreux clous en rangée pour ne pas être glissante.
Moyen-Âge
Il semblerait qu’au Moyen-Âge, la chaussure devienne beaucoup plus perméable au phénomène de la mode. Bien entendu, le rang social est un élément qui donne de la distinction à l’habillement du pied. A la fin de la période médiévale, la pointe rembourrée à l’avant de la poulaine en est un. Ainsi, plus elle est longue, plus le rang social est élevé.
Pour celui qui porte la poulaine, cette pointe dit quelque chose : “regarde comme mon pied est grand, et si mon pied est grand, c’est que je suis un grand personnage”. Un peu comme le système des épaulettes que l’on glisse dans l’épaisseur des tissus d’une veste. Elles renvoient immanquablement vers la haute idée que l’on peut se faire de celui qui les porte.
Au fur et à mesure les pointes se sont tellement allongées que certaines pouvaient atteindre 50 centimètres.
Le mot poulaine trouve son origine dans l’utilisation de la Poulanne. Il s’agit d’un cuir venu de Pologne qui se nommait elle-même Poullaine”. 0 l’origine, on faisait les pointes de ces souliers si spécifiques avec ce cuir venu de Pologne. En Angleterre, les poulaines s’apellent cracow en référence à la ville de Cracovie en Pologne.
La chaussure en nombre
La haute noblesse commande des chaussures en nombre. En 1424, on dénombre 40 commandes de chaussures pour le seul comte de Savoie. A la même époque, à la cour de France, les commandes de chaussures pour Charles VI atteignent presque 250 paires en une année. En moyenne, il porte chaque paire de chaussures une journée et demie. L’effet produit est qu’il ne porte que des chaussures neuves.
Ca me botte, la chaussure qui monte, qui monte
Sous le règne d’Henri IV, on aime les bottes. Elles sont souples, montent assez haut et comportent un talon. Le mollet est ainsi entouré non pas dans quelques lanières mais par une véritable tige. Elle est taillée dans un cuir si souple que la marche en devient élégante. Dès lors, les bottes sont portées en tout lieu et à tout moment. Elles donnent du style et on les porte aussi en intérieur, même quand on ne vient pas de descendre de cheval.
A la Renaissance, la tige de la botte se taille au plus près de la forme du mollet. Il s’agit exclusivement de réalisations faites sur mesure. Ces bottes montent au plus haut, y compris sur la cuisse à laquelle elle est ajustée. Ces bottes sont particulièrement difficiles à ôter et tout autant à enfiler. Il fallait l’intervention d’un valet pour y parvenir.
Le talon d’Achille de la modernité
La période moderne connaît une élévation de l’esprit ? C’est sans compter avec celle des talons.
Les femmes et les hommes font placer des semelles sous leurs chaussures. Au départ pour se protéger du froid, de l’eau ou de la boue. L’accumulation des patins peut porter la hauteur de la chaussure d’une femme à plus de trente centimètres. Cette mode est héritée de la chopine vénitienne. Une chaussure portée si haut que deux personnes n’était pas de trop pour permettre à la dame de tenir debout et de marcher avec ses chopines aux pieds.
La broderie de chaussure
Sous Louis XIV et ensuite au Siècle des Lumières, la chaussure à talon est ornée de la même façon que l’habit. Les damas, inspirés de l’Orient, arrivent de Venise ou de Gênes. Ce sont les étoffes de prédilection pour ces chaussures haut de gamme. Ainsi, la soie, les broderies de fil d’or ou d’argent comme les brocarts, se partagent un usage de pied en cape.
Pendant la Révolution, ces chaussures de luxe représentaient un marqueur social propre à la haute noblesse. Aussi, elle usa de plus de discrétion dans l’ornement des pieds. Après la Terreur, les Bals des victimes ont permis aux escarpins de reprendre un peu de leur superbe.
La chaussure romantique
A la suite des campagnes napoléoniennes, la botte reste indétrônable. En effet, c’est un attribut militaire qui donne du prestige. Cependant, elle est plus fine dans ses proportions.
Pour les femmes, la bottine se ferme avec des lacets puis dans la seconde moitié du XIXè siècle, à l’aide d’un tire-bouton. Depuis de nombreux siècles, et jusqu’à la fin du XIXè, les semelles ne distinguent pas le pied gauche du pied droit. A l’usage, c’est la chaussure qui se fait au pied et non l’inverse, en tout cas sur ce point précis. Même si, en 1822, l’industrie américaine invente les premières chaussures qui distinguent le pied droit du gauche, sa généralisation prendra encore quelques temps.
Les escarpins sont toujours prisés et sont plus simplement ornés de rubans. Lors des bals, les femmes portent des chaussures légères qui découvrent le dessus du pied. Quant aux hommes, la chaussure vernie est de mise.
L’industrialisation qui a marqué cette période a produit des chaussures de toutes sortes. François Pinet sera un des grands acteurs de la fabrication en série de chaussures pour femmes. En 1879, il dépose un brevet de semelle imperméable en papier enduit de goudron. Il met un point d’honneur à rendre confortable la chaussure pour femme. Notamment en remettant au goût du jour le talon bobine dont le bas est évasé. Celui-ci rend la marche plus stable et prévient de nombreuses douleurs.
La chaussure nous rend parfois un peu bête
Aujourd’hui, certains d’entre nous savent que telles ou telles chaussures nous font mal au pied. Mais nous les portons quand même en pensant que parfois c’est nécessaire. Alors qu’on on est plus confortablement chaussés en baskets. D’autres encore vont à la plage en Doc Martens. Alors que rien ne les y oblige tout en sachant que ce n’est pas la chaussure la plus facile à mettre ni à enlever quand il fait chaud.
Pour aller plus loin avec de bonnes chaussures
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Jérôme Cucarull, « L’industrie de la chaussure à Fougères avant 1914 d’après les dossiers de faillite des entreprises », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 114-1 | 2007, 163-184
- Gwenola Ricordeau, « Marie-Antoinette sous les tropiques : Imelda Marcos, sa collection de chaussures et la mémoire de la Loi martiale »
- Irène Berelowitch, « La chaussure, une histoire arménienne »
- Globetrotter Girls, « San Francisco : plainted ladies and a garden of shoes »
- Actu Environnement, « Textiles et chaussures : quel recyclage possible ? »