La cuisine sucrée et le goût sucré arrivent souvent comme une récompense. Tel le dessert après un plat trop banal ou au contraire comme le couronnement d’un repas de fête. Voyons ce qu’il en est.
Du pain ancien
On considère que le pain apparaît en Europe au cours du Vè millénaire à la faveur de la néolithisation venue du Croissant fertile. Au IVè millénaire, vers 3550 av. J.-C., à Douanne, en Suisse, dans les vestiges d’une maison d’un village néolithique, un pain est resté attendre. Il n’a pas été mangé, ni même rompu. Il est entier, rond comme une miche parce qu’il a poussé grâce au levain.
Un peu plus tard, de 300 ou 400 ans, toujours en Suisse, le site de Montilier (Suisse), a livré du pain de plusieurs sortes ainsi que des pâtisseries. L’une d’elles, en forme de tartelette, était disposée sur une écorce de chêne qui a servi de plaque de cuisson. C’est grâce à l’étude dendrochronologie de cette écorce que la tartelette a pu être datée, 3178 à 3118 av. J.-C.
Ces pâtisseries étaient composées de farine fine, de miel, de blancs d’œufs. Elles étaient préparées et disposées dans des moules dont certains disposaient d’arêtes très fines et ciselées.
Au second siècle av. J.-C., la période celtique a livré des pâtisseries rondes comportant un trou en leur centre. Les offrandes faites avec des pains en forme d’anneau remontent au moins à l’époque sumérienne. Ces types de préparations sucrées destinés aux offrandes sont attestés tout au long de l’histoire. Le symbolisme attaché à un pain enrichi perdure encore de nos jours.
La cuisine sucrée des Dieux
Pendant l’Antiquité, à Rome, il existe un nombre très important de gâteaux sacrificiels. Chacun porte un nom précis, ce qui détermine que la forme, la recette et l’usage qui en sont faits relèvent de pratiques parfaitement codifiées. La préparation des gâteaux et des ingrédients fait partie intégrante du rite et s’effectue sur le site sacré par un auxiliaire de culte dans une pièce à part, sorte de sacristie du culte par le gâteau sacré.
Par exemple, les gâteaux à la farine de fromage étaient très courants. La farine de fromage est obtenue à partie d’un fromage très dur et très sec qui peut être broyée. Les céréales sont presque toujours de l’épeautre. L’ingrédient sacrificiel du gâteau sacré est constitué par une partie de l’animal qui a été sacrifié, la graisse, le foie, ou aussi un morceau de viande recouvert d’une pâte et passé à la broche.
Dans la cuisine sucrée, on utilise le terme gâteau car il s’agit d’une préparation de pain amélioré. Ce qui détermine un gâteau, c’est la forme multiple et élaborée, la grosseur du pain et les ingrédients savoureux et enrichissants qui sont adjoints à la préparation ou en garniture. Par exemple, les gâteaux peuvent être recouverts de graines sur le dessus mais aussi tout le dessous. Certains textes décrivent des gâteaux sur lesquels on fait couler un liquide comme le vin qui le rend spongieux et s’apparente à une libation.
Les formes des gâteaux sacrificiels sont souvent circulaires, mais il en existe aussi en forme de lacet, de tresse, de torsade.
Le goût du sucre de banquet
Le sucre n’est pas un ingrédient très courant dans la cuisine du Moyen-Âge. Comme nous avons pu l’écrire dans un article sur la confiserie au Siècle des Lumières, le sucre est une denrée rare et son commerce est une affaire d’apothicaires. Par contre, le goût sucré est lui, très représenté dans la cuisine depuis de nombreux siècles. L’usage du miel dans la cuisine sucrée est très courant, celui du sucre un peu mois, on l’a vu, mais l’un et l’autre sont réservés à une certaine élite, d’une part, et/ou à certaines occasions d’autre part. Un peu comme il est d’usage à notre époque moderne de manger des gâteaux et des pâtisseries pour des occasions de fêtes ou de cérémonies.
Le goût sucré peut être apporté par des fruits séchés qui par la dessiccation concentre le sucre et peut apporter à une préparation la douceur espérée. Il est à noter le lien entre les mots doux et sucré. Pendant l’Antiquité, le mot sucré n’existait pas, on parlait alors de « rendre doux ». Il est incontestable que le produit sucrant le plus en usage pendant plusieurs siècles en Occident reste le miel. Par-delà le côté sucrant, sa couleur, sa production, ses parfums, tout concourt à donner à ce produit un aspect divin. Dans les religions d’Orient, le miel peut être un fleuve du paradis ou être associé à la terre promise. La première mention connue du pain d’épices est rapportée par Alain Rey dans un ouvrage en 1372. Compte-tenu de la présence de miel dans des pains dès la période Néolithique et de l’importance des épices dans la cuisine, on peut croire aisément qu’une préparation de farine avec du miel et des épices ait vu le jour bien avant d’être mentionnée dans un ouvrage. Comme très souvent, une mention écrite survient comme une attestation par un auteur d’un élément que les usages et la tradition orale font vivre depuis des temps immémoriaux. On ne peut faire naître sur le papier une pratique qui n’a aucune existence dans les usages les plus courants.
La cuisine sucrée de banquet : 130 plats
Vers la fin du Moyen-Âge, le sucre fait une apparition plus retenue dans la cuisine sucrée d’Occident que dans celle de l’Orient. Et elle n’est présente que dans la cuisine de l’élite de plus haut rang. Ainsi, les confiseries, les pâtisseries et les vins doux sont des éléments indiscutablement présents dans les banquets et en très importantes quantités. Ces plats sont le raffinement suprême. L’intérêt du sucre sur le miel est le côté façonnable, le sucre peut être est utilisé à dessein suivant qu’il est traité comme un sirop, un caramel, une poudre ou une plaque cristallisée.
On fabrique ainsi des pâtisseries avec les emblèmes de la famille, des représentations symboliques du pouvoir ou de scènes de combat entre le seigneur et les forces du mal. On reproduit aussi des gâteaux sucrés représentant des animaux, des fleurs, des châteaux, des arcs de triomphe. On fait un peu dans la démesure. Au XVè siècle, un mariage à la cour de Naples se compose d’un banquet avec 130 plats. Beaucoup comportent du sucre ou du miel.
La présence du goût sucré dans les plats connaît une intense diversité. Par sa combinaison avec des vinaigres, des herbes et des épices, la douceur d’un plat à un autre n’est jamais la même expérience. Les papilles sont sollicitées chacune à leur tour, et le passage d’un plat à l’autre renforce la multiplicité des saveurs. L’aigre-doux règne en maître.
Voici un plat servi « à la desserte » vers 1380 :
L’hypocras et le métier (gaufre très fine à base de farine, de vin blanc, d’eau et de sucre) constituent l’issue avec deux quartes de vin de grenache, deux cents oublies et les supplications. On compte, par écuelle, huit oublies, quatre supplications et quatre étriers.
En dernier service, du vin et des épices en guise de boute hors. Puis on se lave les mains, on rend les grâces et l’on va dans la salle de parement. C’est le tour des serviteurs de dîner. Peu après, on apporte le vin et les épices, puis les invités prennent congé.
Pour aller plus loin en mangeant du pain
• Douanne : Habitat néolithique littoral
• Max Währen, Pain, pâtisserie et religion en Europe Pré- et Protohistorique
• Mohamed Ouerfelli , Le banquet en France et en Italie à la fin du Moyen Âge : entre convivialité et propagande